Les travaux de recherche de Cheikh Anta Diop présentent toujours une réflexion d’une étonnante actualité pour notre monde contemporain. L’unité africaine reste au cœur de nos interrogations pour bâtir l’épanouissement de notre continent.
Dès 1952, Cheikh Anta Diop posait la question de la création d’un État fédéral d’Afrique noire qu’il associait étroitement au panafricanisme dans une démarche scientifique, politique, historique et culturel.Compte tenu des enjeux planétaires et en nous appuyant sur les écrits et la pensée de Cheikh Anta Diop, nous exposerons les raisons de bâtir un État fédéral d’Afrique noire constituant ainsi un des axes de la renaissance africaine.
Pour cela, il est important dans un premier temps de dresser un schéma historique de la formation du monde noir pour ensuite décliner les ressources stratégiques et politiques du continent africain.
I Origine et histoire du monde noir
L’expérience scientifique a démontré que l’Afrique est le berceau de l’humanité et que les peuples africains, partis de la région des grands lacs, se sont glissés dans le bassin du Nil. « Aux temps proto-historiques, ils créèrent la civilisation soudanaise nilotique et la civilisation égyptienne. »
Ainsi, les peuples africains ne sont pas issus d’autres peuples mais représentent bien la première civilisation du monde. La puissance des empires d’Afrique est à cette époque éclatante, l’opulence des cités commerçantes révèle un luxe incroyable. Les habitants étaient des « africains authentiques noirs » et la culture négro-africaine a rayonné dans le monde avec une vitalité insufflant des visions religieuses et philosophiques issues de l’Égypte pharaonique.
L’éclatement de ces empires s’opère d’abord au 16ème siècle par l’arrivée des portugais puis au 19ème siècle avec l’occupation de l’Afrique par l’Europe entière.
Il est aujourd’hui possible, par les travaux des chercheurs, de relire l’histoire de l’Afrique, d’exhumer l’organisation sociale, administrative, judiciaire, les conditions d’enseignement, la technologie, les mœurs, les coutumes pour restaurer la conscience historique.
L’unité de l’histoire ainsi reconstituée peut mener le peuple africain à une unité géographique, économique, philosophique, sociale et culturelle.
II L’unité linguistique
Un autre aspect important à souligner est l’unité que représentent les langues africaines par leur système linguistique.
Au moment des grands empires, les langues africaines constituaient le corpus d’échange de l’administration au commerce, l’arabe étant, même après l’islamisation, une langue religieuse et intellectuelle. Avec l’arrivée de l’Europe au 19ème siècle, les langues africaines ont été marginalisées.
Pour parvenir à construire un État fédéral africain, sur la base d’une unité historique, économique et géographique, il faudra reconstituer notre unité linguistique, en faisant le choix de langues africaines appropriées tournées vers la modernité et les piliers de notre culture.
Prenons l’exemple du Sénégal, nous avons pu démontrer la parenté qui existe entre le wolof, le sérère, le peulh et le diola. L’étude des lois linguistiques démontre que l’unité est plus récurrente que les particularismes de chaque langue. Cela repousse tout micro-nationalisme et rassemble au lieu de diviser. Le wolof est de fait la langue nationale car elle est parlée par l’ensemble de la population et par les groupes minoritaires. Les chercheurs travaillent à développer les concepts des sciences en wolof. Pour favoriser la pratique de la langue wolof (en lieu et place du français), il faut instituer une « académie » du wolof : prix littéraires, traductions d’ouvrages, dictionnaires linguistiques et scientifiques. Cette étude peut s’appliquer aux autres territoires du continent africain pour harmoniser les régions.
Un autre argument qui a son importance, et les dirigeants doivent s’en préoccuper de manière urgente, la majorité des populations ne maîtrisent pas les langues européennes, considérées comme les langues officielles des États. Ainsi, les populations sont injustement marginalisées sur les questionnements d’ordre institutionnel, politique et démocratique. C’est en cela qu’il est urgent de faire émerger les langues nationales.
Le moment venu et une fois fait le choix d’une langue africaine adaptée, celle-ci devra être enseignée dans le secondaire, dans le supérieur, les manuels rédigés dans cette même langue, devenant ainsi un support fondamental de notre culture moderne.
Pour parvenir à cette unité linguistique, les chercheurs africains, appuyés par les États et leurs dirigeants, doivent mener des activités de recherche efficientes, refusant la facilité intellectuelle et œuvrer pour la renaissance culturelle et linguistique du continent noir.
III Unité politique et fédéralisme
Pour en finir avec les micros-États dictatoriaux, éphémères, affaiblis par les intérêts personnels des dirigeants, le continent africain doit entamer « son destin fédéral ». Construire des liens fédéraux, c’est abandonner les liens artificiels des anciennes colonies. Le cas de l’Afrique de l’Ouest représente un potentiel économique majeur, supérieur à la France et à l’Angleterre réunies. Proposons une voie concrète pour mener à une fédération des États africains en réponse à la souveraineté locale qui est une constitution déséquilibrée issue de la colonisation.
Choisir une gouvernance fédérale permettrait de sauvegarder les intérêts particuliers des régions et l’unité africaine.
Bien que l’occident dise le contraire, l’Afrique est un continent de vide démographique. Le continent doit se repeupler car il possède des sources d’énergie naturelles, des matières premières et des vivres suffisantes pour nourrir et entretenir sa population.
Pour délimiter les frontières de cet État fédéral noir, on peut naturellement s’inspirer des frontières historiques des anciens empires africains et en particulier de la situation géostratégique de l’Afrique de l’Ouest.
V La nouvelle stratégie
La constitution d’un État africain continental moderne permettra de mettre à terre la mascarade des indépendances qui n’a créé que de la division entre les régions.
Les responsables politiques et les intellectuels doivent être en mesure de dégager des perspectives pour l’Afrique et ce de manière désintéressée et sincère. Être honnête intellectuellement, moralement et animé d’un idéal dégagé de sa propre réussite sont les conditions nécessaires à la réalisation d’un État fédéral d’Afrique noire.
VI Bicaméralisme
S’appuyant sur notre histoire et celle de l’Égypte pharaonique en particulier, il faut redonner à la femme « une place de choix » et l’associer à la direction des affaires sociales et politiques. Restaurer le bicaméralisme ancestral sur une base moderne, c’est redonner à notre patrimoine culturel un mode efficace de l’élément féminin au service des nations.
VII Les sources d’énergie
Celles-ci sont nombreuses et présentes un peu partout sur le continent. S’appuyant à la fois sur les mines naturelles et les technologies, elles placent l’Afrique noire au centre énergétique du monde : l’énergie hydraulique, l’énergie solaire, l’énergie atomique avec la présence de gisements importants d’uranium, l’énergie éolienne et l’énergie marémotrice.
Telles sont les ressources énergétiques de l’Afrique noire. Leur utilisation par les africains eux-mêmes et en transformant les matières premières que possède le continent, « permettrait de faire de l’Afrique noire un paradis terrestre. »
La concentration des sources d’énergie permet de dégager huit zones naturelles à vocation industrielle : le Congo, le Gabon, le Nigeria et le Cameroun, le Ghana et la Côte d’Ivoire, la Guinée, la Sierra Léone et le Liberia, la zone tropicale (Sénégal, Mali, Niger), le Soudan nilotique, les Grands lacs, l’Éthiopie, le bassin du Zambèze et l’Afrique du sud.
Pour mener à bien l’exploitation de ces ressources et les échanges intercontinentaux, il est également capital de construire et de développer des axes de communication solides (routes, réseaux autoroutiers, voies de chemin de fer, liaisons aériennes, équipements importants pour les transports maritimes : cargos, pétroliers, bananiers).
Un dernier point essentiel pour la renaissance du continent, est la formation exigeante des cadres techniques. Il est indispensable de placer les cadres africains dans des conditions de réussite et de responsabilités. De même qu’il faut s’attacher à l’entretien durable de nos constructions et de nos infrastructures, dans un environnement dynamique de développement et d’investissements fiables.
Nous appuyant sur les données historiques, sociales, culturelles et politiques du continent, il est important de comprendre que cette construction du développement continental doit être envisagée dans un esprit d’unité fédérale des États. Les avancées momentanées des micros-États ne constituent pas une force suffisante face aux enjeux stratégiques, économiques et politiques mondiaux.
Cette analyse de la situation du continent africain représente le cœur du développement pour une meilleure connaissance de notre patrimoine, de nos ressources, de nos potentiels, pour le moment toujours assiégés par les puissances occidentales.
Ce n’est pas une utopie de croire à la construction d’un État fédéral d’Afrique noire dans le cadre de la renaissance africaine, c’est une proposition concrète pour faire de l’Afrique le continent majeur du 21ème siècle.
Amadou Elimane Kane, poète écrivain,
enseignant et fondateur de l’Institut Culturel Panafricain et de recherche de Yene
Bibliographie :
DIOP, Cheikh Anta, Les fondements économiques et culturels d’un Étatfédéral d’Afrique noire, éditions Présence Africaine, Paris, 1974