Cet entretien est publié dans le Quotidien du 6 mai 2016
L’homme est connu pour ne pas avoir la langue dans sa poche. L’artiste internationalement connu, Zulu Mbaye, président du projet «Ubekuu» et membre du comité d’orientation de la biennale, pèse ses mots pour cracher les maux dont souffre la biennale. Il jette son regard sur l’organisation et les hommes qui la dirigent et annonce son souhait de quitter le comité d’orientation qui n’est pour lui qu’un comité d’organisation.
En tant qu’artiste et membre du comité d’orientation de la biennale, quel regard portez-vous sur ce rendez-vous des arts ?
Je fais partie des artistes qui ont parlé les premiers de l’organisation de cette biennale. C’était au début des années 80… Je pense que les autorités culturelles ont apprécié ces bruits qui couraient autour de l’organisation d’une biennale et qu’en 90, on nous dit qu’on va organiser la Biennale des lettres. La première biennale était celle des lettres en 90. Ça ne sera qu’à l’édition de 92 que les arts plastiques vont prendre la place dans cet évènement. C’est donc en 92 que la biennale va être dédiée aux arts plastiques. Depuis 92 donc, la biennale est devenue en Afrique un agenda, le seul permanent qui demeure et qui tient encore. Sous quel angle d’appréciation ? On va en parler. En tout cas, c’est un événement qui est encore là. Cette biennale est composée de plusieurs manifestations artistiques au niveau des arts plastiques, l’exposition in où des artistes internationaux sont invités par sélection d’un jury et le off... Je pense qu’il n’y a pas eu de biennale en 94. En 96, elle va reprendre, mais sous quel angle ? Les autorités avaient décidé de l’africaniser… Et quand j’ai compris que l’Etat sénégalais avait décidé de l’africaniser, de ghettoïser l’art africain et la biennale, alors que je suis invité en tant qu’artiste un peu partout dans lemonde, je me dis qu’il faut lutter contre cette décision. Comment ? En boycottant la biennale. Ce n’était pas un off, ce que j’ai créé. Puisque je suis le père de ce qui est devenu aujourd’hui le «off». C’était un boycotte de la biennale. D’ailleurs, certains de vos collègues à l’époque avaient intitulé mon action L’obstacle du Dak’art. Parce que je me suis dis que nous n’avons pas d’infrastructures : il n’y a aucun musée, pas de galerie et qu’on court ainsi droit vers une mauvaise Biennale des arts. Nous n’avons pas cette culture d’acheter une toile, des œuvres d’art. Et donc je me suis décidé de boycotter cette biennale.
Donc depuis lors vous ne participez plus aux biennales ?
En 96, je me rappelle, j’ai fait une exposition qui s’appelle Amour interdit. Les gens se sont réveillés la veille de l’ouverture officielle de la biennale et j’avais pavoisé tout Dakar d’affiches à la main, car je n’avais pas les moyens. C’était avec des copains et on a pavoisé Dakar avec cette affiche blanche avec un cœur rouge et une flèche avec un seul titre : Amour interdit. Cela voulait dire qu’on nous interdit de faire l’amour. Faire de l’art, c’est comme faire l’amour avec les autres. Je me disais que l’art africain avait besoin plutôt de vulgarisation de se faire connaître à travers le monde. Et si on se ghettoïse, on se replie sur nous, cela n’allait pas donner un bon résultat. Je pense que ce n’était pas le meilleur chemin à prendre. C’est donc ce boycott qui va donner les off en 98. Les artistes se sont dit on peut faire des expositions parallèles à l’exposition internationale. Et aujourd’hui, en tant que membre du comité d’orientation, quand je vois 287 expositions off à travers le Sénégal, je m’en réjouis profondément. Mais depuis cette édition, je n’ai plus participé à la biennale parce qu’il n’y a pas de contenu.
Comment pouvez-vous dire qu’il n’y a pas de contenu?
Pour moi, l’intitulé de la biennale devrait être Biennale de l’art contemporain africain. Ce n’est pas la Biennale de l’art africain contemporain. Cette nuance, beaucoup ne la relèvent pas. L’intitulé de la biennale c’est la Biennale de l’art contemporain africain, car on ne nous montre pas l’art africain contemporain. Si on nous l’avait montré, on n’aurait pas fait le parcours, la démarche que l’art, né en Afrique, a eu jusqu’à arriver au contemporain. C’est cela l’art africain contemporain alors que l’art contemporain africain c’est l’art qui se fait aujourd’hui en Afrique. Cette nuance mérite d’être soulevée parce que c’est une erreur monumentale.
Comment ça ?
Aujourd’hui, j’ai un atelier au Village des arts. Il y a des artistes qui travaillent pendant 24 mois dans leur atelier avec leurs pinceaux, peignant ou sculptant avec leurs burins et à un mois de la biennale, parce qu’ils veulent être sélectionnés, laissent tomber leurs pinceaux et font des installations… de l’art conceptuel, et c’est cela qu’on nous montre dans la biennale. Depuis 5 éditions, je ne vais jamais voir l’expo internationale. Je ne vois que les catalogues. Je me demande si l’art qu’on montre là-bas c’est l’art africain contemporain. Est-ce que ce n’est pas du mimétisme ? Est-ce que ce ne sont pas des élèves qui récitent leurs leçons ? Où sont les professeurs ? Les professeurs sont là parce qu’on leur a offert notre biennale sur un plateau d’argent. M. Simon Njami, le directeur artistique de la présente biennale, nous savons ce qui se passe… Qui sont ses curateurs ? Ces genres de commissaires qui se mettent entre les organismes, même l’acheteur d’art et l’artiste. C’est une race qui vient de naître qu’on appelle des «curators». On ne sait pas dans quelle école ils sont formés. En tout cas, ils arborent l’étiquette de «curators » ou de commissaires d’art…
Mais pourquoi dites-vous cela ?
Je me demande pourquoi le Sénégal, qui regorge d’artistes de talent et qui ont une renommée internationale, ne peut pas faire confiance à cette ressource locale et est toujours là à offrir la biennale, excusez du mot, aux étrangers. Mais on offre la biennale à des étrangers sur des plateaux d’argent. Effectivement, ils en font ce qu’ils veulent. M. Njami, en arrivant à Dakar, nous dit : «Je cours à la rescousse de la biennale de Dakar.» Mais quelle insulte ! Il court à la récupération de la biennale de Dakar. On a vu ce qu’il en a fait. D’abord, quels sont les sites majeurs du in ? Il y a une personne qui a vécu à Douala et qui a ouvert un espace comme l’avait fait Pierre Losk ici à Dakar qui s’appelle Doual’Art. Très bien. Il y a le Cameroun dans la biennale. Ce soir (Ndlr, l’entretien a eu lieu mercredi matin), il y a un film qui sera projeté dans le cadre de la biennale au CCF d’un réalisateur camerounais. Des personnes disparues à qui il faut bien rendre hommage sur la liste camerounaise. Il va nous présenter un salon parce que, dit-il, ce qui est tristement vrai, «il n’y a pas beaucoup d’écrits sur l’art contemporain africain». Quand même, il y a eu la revue noire pendant les années 90 jusqu’à récemment. C’est la seule revue qui parlait de l’art africain contemporain. Et donc M. Njami va faire une exposition, une occasion de montrer le travail de la revue noire en quelque sorte… Il s’est servi. Je n’ai pas peur des mots que je prononce. Je sais de quoi je parle...
Vous avez décidé d’arrêter votre participation au comité d’orientation de la biennale…
Oui ! Pourquoi j’ai décidé d’arrêter ma participation après cette biennale au comité d’orientation ? Parce qu’on n’a pas un comité d’orientation, mais plutôt un comité d’organisation. On s’occupe d’hébergement, d’accréditations, de restauration. Le contenu de la biennale, mais qui en parle ? Cela ne les intéresse pas. C’est parce qu’ils sont ignorants. Quand tu oses leur parler, ils ne t’écoutent et ne t’entendent pas. Les gens se disent que je ne vais pas parler parce qu’on va encore dire que c’est Zoulou. Mais cela je le subis depuis 45 ans que je peints. J’ai toujours dit ce que j’ai voulu dire. C’estpour cela que je n’ai pas duré à la tête de l’Association des artistes sénégalais que j’ai dirigée de 87 à 92. Cette position, je ne vais pas la perdre ou la troquer contre rien au monde. C’est un rôle que je dois jouer. Ma communauté ma profession a le devoir de dire aux organisateurs de cette biennale que ce n’est pas comme ça. Je disais au président du comité d’orientation, nous avons pour cette biennale 500 millions de francs Cfa. Est-ce que le Sénégal a le droit de faire des manifestations de prestige ? En passant, je vais vous dire que de ces 500 millions, il n’y a pas un seul centime qui va en direction des artistes plasticiens sénégalais qui devaient porter cette biennale. Il n’y a pas un seul centime et je n’exagère pas. Ces 500 millions sont utilisés comment ? On invite les artistes du monde entier, on les loge, on les nourrit, on les transporte et je m’arrête là, parce sûrement il y a d’autres choses qui se passent et que je ne comprends pas. Mais surtout, on les prime, c’est-à-dire ce sont les étrangers qui viennent prendre les prix, car ce sont eux qui sont invités… Je ne suis pas dans cette course. Je n’attends pas qu’on me dise Zoulou tu es ceci ou cela. Je m’en fous. Mais c’est ceux-là qui vont être primés qui vont être reconnus sur le plan international. Et les artistes sénégalais, en ce moment, où est-ce qu’ils sont ? Non ! C’est le pays de la téranga ils disent, c’est faux. Ils ne savent pas ce qu’ils font. Ce n’est pas la faute aux artistes étrangers s’ils sont primés. Vous autres artistes sénégalais, vous devez vous remettre en cause non ? L’artiste que je suis se remet perpétuellement en cause. Cette biennale ce n’est pas les artistes qui l’organisent. Ce n’est pas les artistes qui lui donnent un contenu, ni la forme. Tout est tellement politisé. Leur intention n’est pas de servir l’art et les artistes. Et c’est là le grand problème. J’ai du mal à chaque fois que je suis en réunion de comité, car dès que je lève la voix, ils disent : «Oh lalala !», parce que nos préoccupations sont différentes. Eux, ce qui les intéresse, c’est de dire que nous avons invité 100 personnes, nous avons eu 100 chambres d’hôtel, nous avons bu 100 bouteilles de champagne…, le total égal 500 millions et tout le monde applaudit. Mais ils ont tout détruit. Ils n’ont rien réussi et leur préoccupation s’arrête là. Est-ce une raison pour dire que ce sont les étrangers qui prennent les prix ? La miss est celle qui est sur le podium. C’est elle qui s’est proposée candidate, mais est-elle plus belle que la fille qui prépare le repas à côté de sa mère ? Je voudrais juste attirer votre attention sur un aspect : le fait que la biennale soit ouverte à tout le monde. Si les sénégalais s’accaparent tous les prix, à quoi bon d’inviter les étrangers ? En évoquant la préoccupation des prix, je donnais un exemple. Ce n’est pas mon souhait de voir les Sénégalais remporter tous les prix. J’ai parlé d’un état de fait, mais je ne revendique pas des prix. J’en parlais juste pour montrer comment les artistes n’ont pas été impliqués dans cette biennale. Mais ce n’est pas au niveau des prix. J’en parlais parce que c’est ceux qui sont allés en élection qui sont élus, mais ils ne sont pas les plus beaux…
Propos recueillis par Gilles Arsène TCHEDJI et Aïssatou LY