Biennale DAK'ART

En résidence artistique à Yene : FO2, Ben Yahya, Tidiane et Beloui à la recherche de leurs racines africaines

Cet article a été publié sur le site du journal Le quotidien le 13 juin 2016 Logobiennalef

L’institut culturel panafricain (ICP) de Yene a reçu, dans le contexte de la 12ème Biennale de l’Art africain contemporain, 14 artistes. En provenance de la France, du Danemark, de l’Algérie, de la Tunisie, ces artistes se sont retrouvés au Sénégal porteurs des pépites de leurs différentes civilisations. Peintre, photographe, chorégraphe, joueur d’Oud ou de Mandole, ils se sont prêtés à nos questions.

Le Français, FO2,  sculpteur du papier : «A Yenne, le ciel est d’un bleu marin»

FO2, plasticien et sculpteur à la fois, est un Togolo-Sénégalais vivant à Lyon.  Pour la Biennale, il a monté une exposition  intitulée «Topo graffic».  Dans ses créations, FO2 présente des toiles et objets qui, pour lui, trouvent du sens. Il sculpte à partir de matériaux composites (du bois, du papier) des formes animales : des chiens, aussi des poissons. Dans le contexte de la Biennale 2016, FO2 a choisi de porter le thème des ressources marines, et en explique les raisons. «Ce sont des interrogations que je me pose. Quand j’arrive au Sénégal et que je vois un autochtone porté son seau et aller le rejeter à la mer, je me dis qu’il y a un réel problème». L’artiste, qui se sent interpellé face à la raréfaction des ressources halieutiques, s’insurge vraiment contre le gaspillage de ces ressources. «Une ménagère sénégalaise me disait qu’elle n’arrivait plus à trouver des poissons nobles, parce que ces poissons sont péchés et revendus ailleurs», regrettera-t-il non sans un brin de satisfaction d’avoir pu participer à la Biennale Dak’Art. «J’avais postulé pour le «In», je suis en «Off» mais qu’on me sélectionne ou pas l’important était de participer, de montrer, d’apporter ma contribution et d’échanger», jubilera-t-il.

Le Tunisien, Khaled Ben Yahya joueur d’Oud, un cours avec le sultan des instruments

Le musicien, musicologue, compositeur et professeur de musique orientale, vagabonde dans le monde entier pour poser ses airs d’Oud. Yene peut s’enorgueillir d’accueillir le meilleur musicien, instrumentiste de l’année 2007 en Tunisie, et le meilleur artiste étranger en France en 2005, Khaled Ben Yahya. Le joueur d’Oud se pose à l’Icp de Yenne pour évoquer l’histoire du Oud. «L’instrument Oud est très ancien qui remonte à 2300 ans avant JC, né à Babylone,ça s’est développé à l’époque des Abassides. Au 9ème siècle une cinquième corde a été rajoutée. On jouait a l’époque avec le bout des doigts, avec une règle. Au 13ème siècle on l’a intégré dans tout ce qu’on joue aujourd’hui comme musique arabe (intervalle, mode). Tout part de ce Oud qui est un instrument assez convoité et sollicité dans le monde entier», vantera-t-il son instrument. Cela dit le sultan des instruments espère rencontrer au Sénégal des musiciens soufis, des joueurs de kora pour les prochaines Journées musicales de Carthage. Pour Khaled Ben Yahya, «la musique est un langage universel. Les rencontres et partages sont toujours intéressants».

Yacine Farid Beloui Algérien joueur de guitare «Mandole» : A la recherche de l’Afrique profonde

Musicien de formation, Yacine Farid Beloui joue depuis 5 ans d’un instrument typiquement algérien. C’est, renseigne-t-il, une invention d’un grand maître de la musque populaire Chayabi, qu’il a voulu «contemporaniser» afin de l’ouvrir vers d’autres horizons harmoniques.  Ce joueur de Mandole espère faire des rencontres au Sénégal et tisser des amitiés à travers toute l’Afrique. «Ce sont les rencontres qui font les hommes», dit-il pour s’en justifier. L’Algérien suggère le rapprochement, l’échange et l’écoute. Pense-t-il qu’aller vers l’autre c’est  comprendre ses problèmes et soucis et les éléments communs de cette Afrique ? S’appliquant sa propre règle, Yacine  Farid Beloui  va à la conquête du monde tout en gardant un œil sur sa propre  identité algérienne. «En Algérie, on est en train de découvrir une Afrique qui est loin d’être celle que nous voulons. Des mamans avec leur bébé serpentent la circulation pour demander l’aumône. Quand je vois ces populations désœuvrées qui ne sont pas prises en charge, je suis malade ! Cette Afrique je la refuse ! J’ai envie de découvrir l’Afrique profonde, berceau de l’humanité.» Le joueur de Mandole, qui porte cette plaie au cœur, invite les Africains à se fédérer pour faire face aux obstacles et surtout à prendre conscience de la richesse de cette Afrique. «Dans nos diverses identités culturelles, nous retrouvons notre africanité».

Ousmane Tidjani, photographe Algérien : «Que nos expériences servent aux pays d’Afrique»

Son travail photographique est tourné sur les arts populaires : danse, musique, chant, et parfois cinéma. Il fait surtout l’anthologie de la musique traditionnelle et se sent imbu d’une responsabilité. «Nous sommes venus rencontrer les Sénégalais. Au-delà des frontières et institutions, il est important qu’on se connaisse. Plus on se connaîtra, plus on évitera les problèmes». Le photographe, qui a vécu la décennie noire du terrorisme en  Algérie, espère qu’au-delà des liens qui se tissent que les Africains apprennent de l’expérience des Africains. «L’Afrique est un continent où des enjeux importants se font. Mon pays a souffert. On a longtemps eu froid au dos. C’est très difficile, vivre la tragédie, changer à jamais l’individu. La sagesse qu’ont certains Algériens est le fruit de cette expérience. Que nos expériences servent aux pays d’Afrique.» Ousmane Tidjani entend partir de la culture pour créer des passerelles entre les pays. «C’est primordial. C’est ce qui fait tomber toutes les frontières, les incompréhensions et les compromissions. Personne n’a à prouver quoi que ce soit à personne. Nous avons nos cultures, l’islam est notre religion. Chacun à sa culture et je me reconnais à travers celle des arabo-musulmans sénégalais qui est tolérance», a-t-il fini de plaider.

Aïssatou LY