Dites-nous quelle est votre langue maternelle ?
Ma langue maternelle est le puular, ou plutôt devrais-je dire mes langues maternelles sont le puular et le wolof. Le français est pour moi une langue étrangère que j’ai apprise à l’âge de six ans au moment de la scolarisation et tout au long de mon cursus scolaire et universitaire.
Quelle relation entretenez-vous avec le français ? Amour ? Efficacité ? Nécessité ? Obligation ?
Je la pratique telle une langue étrangère. Elle est la langue de mon expression poétique mais je n’écris jamais directement en français. Je compose ma poésie en pensant d’abord dans ma langue. Je fais ensuite un travail esthétique pour traduire mes textes en français.
Avez-vous écrit ou envisagez-vous d’écrire dans une autre langue ? Pourquoi ?
Oui bien sûr. Je suis de ceux qui pensent que nous devons impérativement nous exprimer dans nos langues maternelles, c’est un acte de créativité. Je pense qu’un homme ne peut donner sa mesure que dans la mesure où il y a une réelle appropriation de ce qu’il est et de ce qu’il a. Je pense que nous avons bien besoin de notre langue maternelle pour mieux faire ressortir les subtilités de notre culture, de notre système de pensée et les profondeurs de notre cosmogonie.
Doit-on parler d’une diversité d’écritures francophones d’Afrique ?
Je pense que pour que nous puissions former une ronde arc-en-ciel, une belle ronde, il faut que chacun exprime son regard, une certaine diversité. C’est à partir de ce moment que les uns et les autres pourront communier dans la plus grande tranquillité et dans une dimension de créativité.
Selon vous, qu’apportent les écritures francophones à la langue française ?
Les écritures francophones apportent énormément à la langue française, à tous les niveaux. Car une langue, quelle qu’elle soit, a besoin d’allers retours et les francophones apportent un regard différent teinté d’une belle créativité…
L’avenir est-il au «métissage littéraire ?»
Un écrivain est avant tout un créateur. Quelque que soit la langue qu’il utilise, il doit veiller à un certain esthétisme. En ce qui me concerne, je m’attache autant aux dimensions esthétiques que thématiques. Je travaille autour des signes et des symboles dans ma démarche poétique. Pour mon premier recueil «Les rayons de la calebasse», j’ai tout un regard sur la calebasse car je suis un africain ayant grandi dans un univers peul et wolof. Ce récipient symbolise la générosité où les uns et les autres se retrouvent. Il symbolise également l’accueil, l’hospitalité. Vous voyez l’appropriation qui est faite. Le baobab symbolise l’éternité, le sacré ou le passé. Je dirai qu’il y a un va-et-vient entre les langues, les cultures et c’est cela qui est beau.
Dans quel courant d’écriture africaine vous situez-vous ? Enraciné dans un héritage et une identité essentiellement africains, porteur d’un devoir de mémoire ou davantage témoin de votre époque, du pays où vous vivez – hic et nunc…
Je dirai un peu tout cela à la fois mais il n’y a pas lieu d’utiliser un discours feutré, je suis foncièrement panafricaniste. J’essaie en tout temps et en tout lieu de me nourrir de ce regard. Je suis complètement afro-optimiste dans la mesure où je suis de ceux qui pensent que, finalement, un écrivain africain doit œuvrer pour la Renaissance africaine en questionnant, jusque dans les détails, l’héritage historique du continent et les croyances cosmogoniques, leur signification, leur origine. L’écrivain doit s’approprier les traditions profondes et les riches formes africaines du récit. Une pensée artistique doit s’inscrire, non seulement dans une réalité matérielle, dans sa perspective historique, mais elle doit être une réflexion sur les projets cosmiques et le rôle de l’humanité. En ce sens, elle doit essayer de briser tous les murs entre le passé et le présent.
Quel est le rôle de l’écrivain africain ou d’origine africaine aujourd’hui ?
Une des missions de notre génération doit s’inscrire dans la mouvance de la Renaissance africaine pour pouvoir faire face aux défis mondiaux. Il en est de même sur le plan littéraire. Nous avons besoin de structures continentales de recherches. Le regard que j’ai me paraît paradoxal sur les questions brûlantes qui interpellent aujourd’hui l’Afrique et les africains. C’est un choix. Je me refuse de me situer dans cette dynamique de l’afro-pessimisme où l’on est là à caricaturer, à verser dans la négation. Je suis dans la mouvance de l’afro-optimisme. C’est vrai qu’il y a assez de difficultés mais il y a une belle créativité africaine qu’il faudrait saisir. L’Afrique est un jeune continent. Je pense, comme Boubou Hama, qu’il faut que chaque génération apporte son anneau. Aujourd’hui, c’est à nous d’apporter notre anneau, notre regard. Il y a eu des actes qui ont été posés par un certain nombre de générations. Maintenant, c’est à nous de poser des actes. C’est un choix et c’est un appel.
Quels sont les avantages ou inconvénients d’écrire hors d’Afrique ? En Afrique ? Vous considérez-vous comme un écrivain de l’exil ?
Je suis un écrivain qui fait partie des victimes des frontières artificielles qui ont été tracées en 1885 à Berlin, elles ne correspondent pas à nos réalités historiques, sociologiques. Ces frontières font de moi un exilé car je ne m’identifie pas à ce découpage. Je suis un homme, comme tant d’autres, arraché à son histoire. Je pose souvent ces questions dans mon travail poétique. Vivre en Europe depuis plus de deux décennies me permet aussi de porter un regard singulier sur l’Afrique, sur le monde en général, j’en suis conscient. Très attaché à mon patrimoine culturel et linguistique, je suis aussi très séduit par une identité plurielle que je peux trouver de par le monde. Je reste cependant très engagé au sein de la diaspora africaine en France. Il me semble que nous pouvons faire avancer et apporter une contribution certaine pour nos pays qui ont besoin de nos réflexions et de notre engagement pour accompagner la réussite de l’Unité africaine.
En tant qu’acteur de la Francophonie, que répondez-vous à ceux qui voient dans l’usage de la langue française un reliquat de colonialisme ?
Tout dépend de ce que l’on écrit, il ne s’agit pas seulement de l’emploi de la langue française. Certains écrivains africains reprennent les thèmes qui ont été développés par les ethnologues européocentristes. Tous ces écrivains qui, de manière générale, développent l’afro-pessimisme. Des livres qui, par exemple, s’intitulent : «L’Afrique est mal partie», «Et si l’Afrique refusait le développement ?», «Négrologie». Nous savons que tous ces titres ne tombent pas du ciel. Ils ont été décidés par les colons où l’on refuse aux Africains la créativité. Chacun sait que c’est encore pour asseoir la domination du monde occidental. Aujourd’hui, certains écrivains continuent à travailler dans ce sens. C’est pour cela que je pense que certaines maisons d’édition européennes, et en particulier françaises, véhiculent l’aliénation et tuent la créativité en Afrique noire.
Quels rapports entretenez-vous avec les maisons d’édition européennes et africaines ?
Il y a quatre ans, je disais que certaines maisons d’édition françaises véhiculaient l’aliénation et tuaient la créativité en Afrique. Elles publient des textes qui répandent des images, tout un système de représentations qui cadre avec les intérêts de la France dominatrice. Lorsqu’un écrivain va à l’encontre des intérêts de la France, c’est certain que même s’il utilise toute une dimension esthétique, toute une beauté littéraire, ses textes ne seront pas publiés. Il ne faut pas se voiler la face, certains livres publiés en France par des auteurs africains n’intéressent pas l’Afrique. D’où l’appel que j’avait fait à l’époque pour la création d’une maison d’édition africaine. Celle-ci va contribuer à la Renaissance africaine et va permettre aux écrivains du continent d’assumer pleinement leur imaginaire, c’est-à-dire ce qu’ils sont et ce qu’ils ont. Pour preuve, «Présence africaine» a porté toute la mouvance de la négritude ! L’édition est un acte de souveraineté. Elle permet aux uns et aux autres d’avoir leur indépendance, leur autonomie.
Avec les médias ou avec la critique littéraire ?
Je m’exprime toujours avec force et sincérité sur des questions qui nous interpellent. Je n’utilise pas la langue de bois et il peut arriver que cela déplaise. Je m’occupe peu de la critique littéraire, je préfère m’attacher à créer et à vivre en poésie. Cela ne m’empêche pas d’apprécier le travail des journalistes compétents et d’échanger avec eux sur la littérature et sur les sujets qui me préoccupent.
Entretien réalisé par Gilles Arsène TCHEDJI