La plume de Alioune Badara Bèye est celle d’un bâtisseur, d’un homme attaché à ses convictions et qui représentent à elles seules un idéal panafricain. C’est en ce sens qu’il est intéressant de suivre le parcours extraordinaire de Alioune Badara Bèye qui, de l’engagement militaire de ses débuts et de ses différentes activités professionnelles, va puiser son inspiration pour produire une œuvre littéraire variée, s’essayant avec talent à tous les genres. C’est aussi la conscience panafricaine, évocatrice de la Renaissance qui retient également toute notre attention.
Alioune Badara Bèye est né à Saint-Louis du Sénégal en 1945. Son père, un Lébou né à Rufisque en 1900, revint à Saint-Louis comme contrôleur des impôts après une carrière militaire dans l’armée française durant trente ans. Sa mère était elle originaire du Walo.
Jusqu’à l’âge de six ans, Alioune Bèye fut élevé par sa grand-mère maternelle qu’il admirait beaucoup. A sa mort, sa peine fut immense. Suite à une nouvelle affectation de son père, toute la famille quitte Saint-Louis pour rejoindre Dakar. Son père possédait une maison à Colobane héritée de son propre père. Ils s’installèrent mais la vie n’était pas toujours facile dans l’environnement de Colobane. Le jeune Alioune poursuivit son cycle primaire sans difficulté. A la suite de l’organisation d’une grève dont il est l’instigateur, il est exclu du collège d’Orientation et intègre le collège du Plateau, sur l’intervention de Senghor qui était l’ami de son père.
Malgré une « surveillance étroite », le jeune lycéen est à la tête d’un nouveau mouvement de grève en 1962. Compte tenu des précédents évènements estudiantins contre le gouvernement, cette attitude de contestation est très mal perçue par l’entourage de Alioune Bèye. Titulaire de son Brevet, Alioune Bèye est sommé par son père de préparer le concours pour entrer dans la Marine française. Il y est reçu troisième sur près de 400 candidats. En 1963, Alioune Bèye est affecté à Saint-Mandrier, près de Toulon, dans une école qui forme les mécaniciens de la marine et les conducteurs d’appareils. Durant plusieurs mois, Alioune Badara Bèye reçoit un apprentissage technique et militaire dans le corps de la marine. Les conditions de vie y sont parfois difficiles, à cause du climat et de l’exil mais Alioune Badara Bèye se bagarre et trouve du réconfort auprès de ses camarades sénégalais affectés avec lui. Il se découvre aussi une grande passion pour le sport. Très bon joueur de football, il rate de très près une carrière sportive professionnelle en raison de son engagement militaire qui ne l’autorise pas à mener cette double activité. La formation à Saint-Mandrier dura deux ans. En 1965, Alioune Badara Bèye rentre à Colobane dans la plus grande joie retrouver toute sa famille. Il s’adonne alors à sa passion du football en intégrant un club de quartier de Dakar le « Santos Football ».
A vingt ans, et de retour à Toulon, Alioune Badara Bèye a une vie très agréable. Il poursuit sa formation dans la marine et est reconnu en France pour ses qualités de joueur de football. Devenu adjoint technique de la Marine et footballeur en herbe, Alioune Badara Bèye rentre au Sénégal pour exercer ses fonctions, son diplôme de conducteur d’appareils en poche. Mais c’est dans l’exercice du football qu’il se distingue, il devient un des meilleurs butteurs de la Marine et du Championnat militaire. L’équipe de la Marine sénégalaise était une redoutable formation et gagnait tous ses matchs.
En 1968, Alioune Badara Bèye termine son engagement militaire et quitte la Marine. Il poursuit alors une carrière de footballeur. Mais une grave blessure survenue en 1969 l’oblige à interrompre sa brillante carrière.
En 1970, il est recruté par la douane sénégalaise pour servir sur les vedettes de croisière et intégrer ainsi les brigades maritimes et fluviales. Il devient conducteur d’appareil du bateau Blaise Diagne. A cette occasion, Alioune Badara Bèye rencontre des gens formidables qui constituent l’équipage. C’est aussi le moment où le jeune Alioune Bèye épouse Maïmouna Diaw, à l’âge de vingt-deux ans, celle dont il dit qu’elle était « élégante, racée, fine comme une gazelle » et dont il chante la beauté dans ses poèmes. Quelques mois après son mariage, il est affecté à Rosso au nord du Sénégal où il intègre le service de gardes et de tournées. Ainsi il découvre la région du Walo dont le caractère mythique et historique inspirera son œuvre théâtrale. Il apprend aussi son métier de douanier marin. En 1970, alors qu’il est à Rosso, son épouse donne naissance à son premier fils, Ibrahima. Deux ans plus tard, Alioune Badara Bèye est affecté à Dakar à la brigade maritime. En 1974, il rejoint Foundiougne où il a en charge la vedette de la brigade fluviale et son deuxième fils vient de naître. Son séjour à Foundiougne fut très court mais déterminant pour les nouvelles aspirations de Alioune Badara Bèye. Au centre Culturel Africain de la Médina, il rencontre Abdoulaye Racine Senghor, professeur de Lettres et écrivain, Mamadou Traoré Diop, Ngagne Demba Gueye et son directeur Doudou Guèye que Alioune Badara Bèye considère comme un grand poète engagé. A ses yeux, son appartenance à l’administration sénégalaise l’handicape pour s’illustrer dans le monde des lettres. De plus, son statut professionnel au sein de la douane est très précaire, il en profite pour changer de voie.
Avant d’atteindre la quarantaine, Alioune Badara Bèye prépare un concours et devient contrôleur économique afin de retrouver pleinement les avantages de la vie civile.
Son entourage, et son père en particulier, est très surpris de cette décision et de ce changement de cap professionnel. Mais comme se définit Alioune Badara Bèye lui-même, il est « un homme de rupture, de refus ». L’administration sénégalaise a beaucoup appris à Alioune Badara Bèye. Il y a rencontré des fonctionnaires loyaux, honnêtes et professionnels.
Mais ce sont des souvenirs plus douloureux qui le poussent aussi à partir, ceux des naufrages auxquels il a assisté et les pertes humaines qu’ils ont engendrées. Devenu contrôleur économique, il commence sa formation technique à la Direction de l’administration. A l’issue de ce stage, il est nommé à Pikine où il apprend les premiers rouages du contrôle économique. C’est également à Pikine qu’il fait la connaissance des premiers militants du PDS : Aïda Senghor, Alioune Badara Niang, Raby Diallo, l’acteur Lamdou et la chanteuse Ndèye Seck. A cette époque où l’inflation sur les denrées alimentaires est importante, les contrôles du Ministère des Finances et de l’Economie sont plutôt fructueux car les amendes nombreuses. En 1975, au moment où il prend possession de son logement aux HLM Angle Mousse acquis en location-vente, son troisième fils Matar Mamour Bèye naît. Il est aujourd’hui le rappeur Tonton Mac du groupe musical Sunu Flavor.
En 1978, Alioune Badara Bèye est nommé à Matam, à sept cents kilomètres de Dakar suite à une altercation avec un commerçant Maure. Cette décision embarrasse Alioune Badara Bèye car toute sa famille est installée à Dakar et l’éloignement l’inquiète. La vie à Matam est difficile en raison de la chaleur, des conditions de vie très simples mais l’entourage, comme toujours, a son importance et son rôle à jouer. Alioune Badara Bèye découvre une région riche de symboles traditionnels, traversés de la culture pulaar qui l’impressionne et qu’il respecte. Pourtant, sur l’intervention d’une cousine et de son père, Alioune Badara Bèye est muté à Thiès, à moins de cent kilomètres de Dakar. L’activité professionnelle et la vie à Matam ont été très enrichissantes dans le parcours de Alioune Badara Bèye, mais la distance le séparant de son épouse et de ses enfants était une véritable punition pour cet homme très attaché aux valeurs familiales. Après quelques mois à Thiès en tant que chef de brigade régionale puis à Rufisque, Alioune Badara Bèye regagne définitivement Dakar en 1989.