5- Que proposez-vous que l’on fasse ?
Amadou Elimane Kane : Il faut condamner fermement et pas seulement faire des déclarations d’intention. Interdire et condamner ces pratiques avec les lois qui régissement la communauté internationale. Je pense à l’Union Africaine qui doit se mobiliser et renforcer la justice et rétablir les droits fondamentaux des peuples et des migrants. Dans le monde dans lequel nous sommes, de voir ces images n’est plus acceptable. Je crois aussi que nous devons bâtir, et c’est notre priorité, au coeur du mouvement de la renaissance africaine, la citoyenneté africaine pour garantir justement l’immunité de ces hommes qui fuient la misère et les guerres. Car vous savez, je crois toujours, et viscéralement, à notre avenir africain, à notre possibilité de vivre en harmonie avec les richesses que nous avons et pour faire vivre la croissance qui est la nôtre. Il faut encore que nous constituons un continent uni, fédéré, solide qui s’entende sur les principes fondamentaux de la dignité humaine, de la suffisance alimentaire, de la santé, de l’éducation, de la citoyenneté. Si nous voulons vivre convenablement et faire vivre nos espaces durablement, nous devons construire des remparts qui protègent tous les citoyens dans un cadre d’unité et de solidarité.
6- Et que pensez-vous du débat économique actuel sur la nécessité de voir une nouvelle monnaie remplacer le franc CFA ?
Amadou Elimane Kane : Je suis bien sûr favorable à la création d’une monnaie indépendante africaine pour les zones de l’Afrique centrale et de l’Afrique de l’Ouest. Cela rejoint d’ailleurs mon propos sur l’idée d’un nouveau récit culturel africain qui engage la refondation de nos systèmes politico-économiques et nos institutions. Comment imaginer, encore aujourd’hui, que notre économie soit ligotée et gouvernée par des forces extérieures ? Cette monnaie existe depuis 70 ans et contrôle toujours 15 pays d’Afrique. N’oublions pas non plus que cette monnaie signifie Franc des colonies françaises d’Afrique ! Ce qui n’a plus de sens aujourd’hui, à l’exception de nous maintenir sous l’escarcelle de la France qui a elle-même abandonné le franc ! C’est un frein considérable à notre économie, cela empêche nos exportations à cause de l’ajustement avec l’euro et nous endette de manière catastrophique. Cela ne profite qu’aux investisseurs étrangers et à la Banque de France qui continue d’imprimer nos billets. Autrement dit, c’est encore la France qui décide de notre survie. Si l’on veut parvenir à une réelle émancipation qui décolonialise à la fois notre économie et nos esprits, nous allons devoir créer notre propre monnaie d’échange. Mais cela passe par une réforme structurelle profonde de l’économie globale africaine qui exige du courage de la part des élites et des dirigeants pour conduire cette mutation qui, elle-seule, pourra rétablir l’équité monnétaire et économique pour favoriser l’émergence réelle de notre croissance annoncée.
7- En novembre dernier, vous vous êtes rendu à Rabat au Maroc dans le cadre de la coopération africaine et de la résidence artistique Ubuntu, en compagnie de plusieurs artistes plasticiens sénégalais, projet orchestré par Zulu Mbaye, comment cela s’est-il passé ?
Amadou Elimane Kane : Très bien ! C’était très intéressant et enrichissant. Nous étions invités dans le cadre de la coopération entre le Maroc et le Sénégal, invités par le Roi Mohammed VI pour célébrer nos liens fraternels. Avec les artistes plasticiens Kiné Aw, Sérigne Ndiaye, Assane Dione, Mouhamad Baba Ly, Sandiry Niang et Zulu Mbaye, nous avons participé à la célébration de la marche verte, celle du 6 novembre 1975 où les marocains se sont rassemblés pacifiquement pour libérer le Sahara marocain, un acte profondément panafricain, décidé par le roi Hassan II. C’était très puissant et très émouvant. Nous étions à Rabat également pour produire une œuvre artistique et pour exposer nos travaux au sein de l’université internationale marocaine où nous étions recus. Ce qui est extraordinaire, c’est que nous étions rassemblés autour de nos valeurs africaines, toutes générations confondus, à travers une thématique artistique plurielle, cela m’a vraiment touché. Les jeunes artistes présents et très talenteux ont produit des toiles magnifiques et j’ai écrit des textes poétiques, avec mon ami poète, Thierno Seydou Sall. Nous avons pu également rencontrer des étudiants sénégalais et échanger avec eux autour de l’éducation, des arts, de la transmission et de la continuité culturelle. C’est à cela que je continue de croire mais il faut nous donner les moyens pour inonder nos terres de cette espérance.
8- Quelles sont vos projets et vos perspectives pour 2018 ?
Amadou Elimane Kane : Dès janvier, je ferai la promotion de mon nouveau livre Moi, Sidia Diop ou l’astre d’espérance de la Sénégambie au Brésil. Puis avec la maison d’édition, nous avons aussi le projet d’une autre publication, celle d’Isabelle Chemin qui a écrit un essai littéraire consacré à mes travaux d’écriture et qui s’intitule Amadou Elimane Kane ou l’imaginaire de la Renaissance africaine, c’est une belle initiative que j’ai envie de porter. Je vais aussi poursuivre la partenariat avec l’académie de la Guadeloupe où j’étais l’invité d’honneur en mars dernier pour un hommage au poète Guy Tirolien. J’ai pu y rencontrer des poètes mais aussi des étudiants et des professeurs. J’espère pouvoir organiser un échange culturel et pédagogique en terre sénégalaise à l’Institut Culturel panafricain de Yene. Je suis aussi invité de nouveau au Maroc, dans le cadre des journées culturelles sénégalaises, organisées par les étudiants. Puis à la rentrée scolaire de 2018, nous avons le projet d’une résidence artistique et culturelle pour l’académie de Paris en France. Vous voyez, que de belles choses qui me font vibrer ! Voilà mes souhaits pour 2018, ceux d’assurer la continuité culturelle pour valoriser notre patrimoine et notre créativité.
Propos recueillis par Gilles Arsène TCHEDJI
Moi, Ali Yoro Diop ou la pleine lune initiatique, Amadou Elimane Kane, roman, éditions Lettres de Renaissances, août 2016
Moi, Rokhaya Diop ou la négresse fondamentale qui déplie le temps, Amadou Elimane Kane, roman, éditions Lettres de Renaissances, février 2017
Moi, Sidia Diop ou l’astre d’espérance de la Sénégambie au Brésil, Amadou Elimane Kane, roman, éditions Lettres de Renaissances, à paraître en février 2018
Amadou Elimane Kane ou l’imaginaire de la Renaissance africaine, Isabelle Chemin, essai, éditions Lettres de Renaissances, à paraître en février 2018