Docteur-es-lettres, sociologue et journaliste, poète-écrivain auteur de : «Amours Savanes», «Les Lézardes du Silence», «Ombres» (éditions Acoria), mais également «Les poètes meurent aussi» (éditions Lettres de Renaissance), Ndongo Mbaye Professeur -Associé en Communication et Sociologie à l’Université Cheikh Anta Diop (Ucad) et à l’Institut de formation en administration des affaires (Ifaa) à Dakar, est aussi membre du Comité scientifique de l’Institut culturel panafricain et de recherche de Yènne (Icp) au Sénégal. C’est ce poète d’une grande générosité intellectuelle, directeur des Universités d’été et du Département Lettres et Culture de l’Icp, responsable de la collection «Poésie» des éditions «Lettres de Renaissance» (France, Sénégal), chargé du Pôle Loisirs Retraités et Handicapés de la mairie de Choisy Le Roi (Val de Marne) qui nous a fait l’amitié d’une visite au journal Le Quotidien. Ce fut l’occasion de revenir dans un long échange sur son parcours, sa passion : la poésie et la littérature en général.
M. Ndongo Mbaye, on sait que vous êtes poète mais présentez-vous un peu mieux à nos lecteurs?
Se présenter, c’est toujours un gros exercice dans la vie. Je suis né à Yeumbeul, il y a de cela quelques décennies. Donc Yeumbeul est mon berceau d’enfance, mon royaume d’enfance comme dirait le poète Léopold Sédar Senghor, et où je continue à vivre encore des moments délicieux, savoureux. J’ai fait l’école primaire de Yeumbeul, puis le lycée Blaise Diagne. J’y ai fait tout mon cursus secondaire jusqu’au Baccalauréat. C’est quand j’ai eu le bac avec la mention bien que je me suis retrouvé à faire ce qu’on appelle les Préparatoires en France. Ce sont ces fameux lycées où on prépare les gens aux concours de l’agrégation, à l’école polytechnique, à toutes les grandes écoles aussi bien littéraires que scientifiques. D’ailleurs c’est là où j’ai fait notamment la classe avec des gens très connus dans ce pays : l’ex ministre des finances et de l’économie El Hadji Amadou Kane, ou encore celui qu’on appelle «l’homme du président», Arouna Dia. Et bien d’autres. On s’était donc tous retrouvés en France… En France, après les Préparatoires, j’ai fait un doctorat en littérature. Littérature française-africaine notamment et j’ai beaucoup travaillé sur le 18ème et le 19ème siècle français. Mais ma thèse, elle-même, s’intitulait «Les mentalités dans le roman sénégalais, images et présupposés du discours». Donc j’ai vraiment bouclé avec la littérature sénégalaise d’expression française, puis ensuite comme disait ma mère, je suis un peu boulimique de savoir et ça continue encore. Après j’ai fait un Dea en sociologie à l’Ecole des hautes études en sciences sociales. J’ai fait mon doctorat à Nanterre, Paris 10. Puis après mon Dea à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, puis j’ai fait un Dess en documentation- bibliothéconomie et relation publique à Sciences Po à Paris.
Vous êtes par la suite revenu au pays ?
Oui. Après Sciences Po Paris, je suis revenu au pays en 1983 pour enseigner à l’Ebad. L’Ebad a été mon premier point de chute en tant que professeur à l’université. Donc j’étais professeur en bibliothéconomie, en documentation, catalogage-auteur-matière, analyse documentaire, résumé etc. Et au bout de deux années, voyant que les perspectives dans ce pays, n’étaient malheureusement pas mirobolantes, je suis retourné en France où m’attendait d’ailleurs déjà un poste de fonctionnaire. Donc au début c’était à la mairie de Bagnolet en Seine St Denis, puis depuis 26 ans je dirige ce service municipal de loisirs des retraités et des handicapés de la ville de Soisi Leroy dans le Val de marne où dans quelques mois j’arrête.
Vous arrêtez ?
J’ai assez donné en tant que fonctionnaire. Evidemment je vais continuer à donner des cours un peu par ci par là comme je l’ai fait à l’université de Dakar, à l’Ifaa : institut de formation en administration des affaires, à Ségou au Mali où nous avons-nous-même mis en place, il y a de cela presqu’un an avec des experts africains, le système Lmd de l’université de Ségou.
A la mairie vous allez à la retraite ou vous avez d’autres opportunités ?
Justement je vais à la retraite ça m’ouvrira d’autres opportunités. Je vais à la retraite j’arrête donc ce qui pour moi est un travail de fonctionnaire territorial. En plus j’ai atteint vraiment le grade le plus haut. Je décroche pour revenir chez moi au Sénégal, pour plus donner à ce pays qui m’a beaucoup donné… Je n’ai jamais arrêté depuis une trentaine d’années d’enseigner dans ce pays…C’est un principe auquel je tiens beaucoup… C’est aussi l’ambition du cadre de l’Institut culturel panafricain de recherche de Yénne que j’anime avec mon ami et binôme Amadou Elimane Kane. Nous faisons aussi un travail très important en direction de la jeunesse, en direction de tous ceux qui veulent avoir une écoute, une oreille panafricaine, une oreille pour la renaissance africaine….
Vous avez dernièrement publié «Les poètes meurent aussi.» Quel message porte ce recueil de poèmes ?
Ce poème, ce long poème est un texte, un opus que j’ai voulu ainsi. J’ai choisi ce titre exprès. «Les poètes meurent aussi» c’est pour un peu faire un clin d’œil au poète dans sa tour d’ivoire, aux poètes tout d’un coup inspirés par les muses, aux poètes qui se croient immortels. Je dis bien qui se croient immortels et donc qui se croient aussi au-dessus de l’humanité. Quand j’envoie ce message je veux simplement surtout parler à tous les jeunes actuels, parce qu’ils ont écrit un seul texte, parce qu’ils ont gribouillé sur un bout de papier, parce qu’ils ont écrit un livre, ils se croient arrivés. Ils se mettent déjà dans un panthéon mythique en tant qu’écrivain. J’ai un très grand ami, l’écrivain Marouba Fall qui se définit comme «écrivant». J’aime bien cette définition de ce que lui et moi nous sommes. Cette part d’humilité et de modestie que nous devons garder en nous-même parce qu’écrire, c’est un travail de tous les jours. C’est un sacerdoce. Une fois que l’écriture t’a saisi, l’écriture ne te lâche plus. Et donc on a intérêt à faire preuve d’humilité et à transmettre cette parole de la modestie en disant écrire c’est un travail… Il faut toujours chercher le mot le plus précis possible qui sonne comme le mot magique et qui va faire que le texte devient un texte singulier, un texte spécifique. Il ne faut pas que ça sonne Senghorien ou Césairien, ou que ça sonne Birago Diop. Non ! Quand Ndongo Mbaye écrit, il veut que ce texte qu’il écrit sonne Ndongo Mbaye… Le romancier, dramaturge congolais Kaya Mbacké Leye, Kaya disait : «J’écris pour faire pousser l’arbre qui imprudemment dans mon ventre et dans mon cœur pousse et j’écris pour qu’il fasse plus humanité en moi. J’écris parce que j’ai honte, pour ne pas faire honte à la page blanche». Je crois que cela renvoi à l’humilité. Cette humilité que moi je veux transmettre à cette jeunesse qui écrit et qui se croit tout de suite arrivée au sommet de l’écriture. Du coup, ces jeunes dorment sur leur talent, et ne font pas preuve de réécriture, de correction. Ils ne font pas preuve de recherche. Ils ne vont pas à la source. Cette source fécondante dont parlait Senghor.
Senghor est mort, Césaire est mort même si leurs œuvres poétiques restent encore.
Les poètes meurent aussi parce que nous sommes entre la vie et la mort et qu’il ne faut jamais oublier que nous ne sommes que des mortels et quoi que nous puisons faire dans ce monde, un jour-J, un moment-M nous partirons aussi. Pour cela, il faut que nous laissions derrière nous des traces d’éducation, une transmission d’héritage. Il ne faut jamais oublier que le chemin n’est pas le cheminement, que le chemin c’est juste un itinéraire géographique qui est tracé mais que le cheminement, c’est la manière dont on s’y meut, dont on y bouge, c’est la manière dont le corps, l’esprit se meuvent dans cet espace, la manière dont on chemine sur ce chemin. C’est ça qui m’intéresse.
Alors pourquoi rappeler que les poètes ne sont pas immortels ?
Nous les écrivains, comme le dit encore Marouba Fall, nous les poètes nous sommes toujours dans une espèce d’amusement. Nous aimons nous amuser avec les mots, employer des métaphores, des images. Nous sommes toujours à la limite du sérieux et de la légèreté. Evidemment, Amadou Elimane Kane me dit très bien et très fort dans sa note de lecture mais également dans la préface de ce livre : «Oui Ndongo Mbaye a beau dire, il a beau crié que les poètes meurent mais je suis désolé mon frère mon ami, mais les poètes ne meurent pas parce que justement, ils laissent derrière eux ces sillons, ces traces, ils laissent derrière eux justement ce qui fait sens, c’est-à-dire cette musicalité... »
Vous faites allusion au choix des mots, mais est-ce que vous ressentez dans la poésie l’insuffisance des mots, pour aujourd’hui changer notre monde ?
J’ai écrit justement deux ou trois poèmes qui s’intitulent «Les mots.» Je veux montrer à quel point les mots sont importants dans leur portée, dans leur sens, dans leur sonorité, dans leur signifié, dans leur signification mais en même temps, combien ils n’arrivent pas justement à traduire la réalité, à dire la réalité. J’aime bien l’entre-deux, un l’entre-deux… Le mot peut dire des choses, peut porter la vérité, mais le mot ce n’est pas la source de la vérité, il ne peut que visualiser la vérité, la porter, la dire, la scander, la hurler, la crier, la clamer la déclamer et c’est ça en fait la réalité, le but, le sens du mot. Le mot restera toujours inferieur à la réalité, c’est-à-dire qu’il n’arrivera jamais à reproduire cette réalité. C’est d’ailleurs là, notre frustration nous autres écrivains et poètes. Frustrations de ne pas pouvoir justement dire avec le mot tout ce que nous voulons dire…
Est-ce qu’il y a encore un pouvoir de la poésie, de la marche des peuples ?
Heureusement d’ailleurs ! Je crois que c’est mon ami le poète Amadou Lamine Sall qui a l’habitude de dire que s’il y a un espace qui doit sauver le monde, ce sera l’espace de la poésie, ce sera le rêve des poètes, ce sera l’espoir des poètes, ce sera la force des mots qui va justement télescoper la puissance des peuples, ce sera justement le poème dans toute sa force qui va scander tellement scander l’autre qu’il va faire exister…En disant cela, je pense simplement à la parole africaine dans la tradition. Pourquoi le griot est si important dans la tradition, pourquoi le dialy a un sens ? Parce qu’il faisait exister la parole. C’est pour cela qu’on nous disait : «Attention, la parole peut être bénéfique. Mais, elle peut être aussi très maléfique. Ne jamais la sortir de son ornière de la bouche, de l’ornière du cerveau, de l’esprit, sans l’avoir déjà pensée et repensée»…Si le poète ne sauve pas le monde personne d’autre ne le sauvera.
Pourtant la poésie disparait de nos écoles ?
Vous mettez le doigt sur un problème extrêmement important et qui fait d’ailleurs que, en disparaissant de la sphère éducationnelle, la sphère de l’école en même temps aussi, elle disparait du coup en tant que vocabulaire, en tant que grammaire en tant que ce dont cette poésie est porteuse, des autres sphères de l’éducation, du lycée, de l’université. Combien de fois je me suis arraché le peu de cheveux qui me reste sur la tête, quand j’ai devant moi des étudiants qui sont en Master et qui n’arrivent pas à écrire un texte cohérent. Cela veut dire qu’ils ne sont plus soumis à l’importance de la langue. Car, la poésie, c’est juste l’importance de la langue dans toutes ses déviations, dans toutes ses ruses… Les jeunes d’aujourd’hui malheureusement, sont vides de sens par rapport à la lecture, par rapport à l’écriture…Lire, c’est non seulement récrire le texte que l’autre a écrit, c’est une réécriture de la lecture, mais, c’est aussi un partage de générosité, un partage de regard, de sens. Et si on ne revient pas à ça, cette éducation aujourd’hui, ce système scolaire dans ce pays aura encore d’énormes problèmes. Ce serait comme si on construisait un bâtiment qui repose sur du coton, sur des fondations usées. Si on ne revient pas aux fondamentaux de l’éducation, à faire une lecture précise de la situation, on pourra mettre les milliards qu’on voudra, 30% du budget, 50% du budget de l’Etat, jamais l’école sénégalaise ne sera debout…..
Quel regard vous portez aujourd’hui sur la littérature africaine, sur la poésie africaine particulièrement sénégalaise ?
J’ai l’habitude de dire à mes amis écrivains et poètes, surtout à la jeunesse qu’il ne faut pas que l’écriture, soit dans une course effrénée. Nous avons la chance dans ce pays d’avoir eu de grands hommes de lettres. Je reçois beaucoup de jeunes qui m’envoient des textes poétiques, sublimes, beaux bien écrits, mais avec tellement de fautes de grammaire et de vocabulaire. Chaque fois, je leur dis : le texte est beau mais revenez aux fondamentaux, retravaillez, allez lire, écrivez un mot, réécrivez-le, effacez-le, ré effacez-le, cherchez le mot qui tonne, le mot qui détonne, le mot qui va étonner. C’est ce mot-là qui fera la différence, votre part de poésie, c’est ce mot-là qui fera votre singularité. N’essayez pas de plagier Césaire, Senghor, Amadou Lamine Sall, ou Marouba Fall ou un Ndongo Mbaye. Non, portez votre propre parole d’écriture et prenez le temps d’installer votre écriture (…). Et nous avons la chance d’avoir beaucoup d’écrivains en herbe, des jeunes qui sont très motivés, mais qui sont juste trop pressés de devenir de grands écrivains. Ils sont juste pressés d’envoyer leur livre, leur texte, leur manuscrit chez un éditeur… Il faut que nous ayons le respect du lecteur. Et si nous avons ce respect du lecteur, cette littérature sénégalaise et au-delà, la littérature africaine qui est belle aussi sera plus visible à travers le monde…
Dans les années 60, 80, on parlait effectivement des belles lettres sénégalaises avec de grands auteurs. Mais, est ce qu’il y a encore ce regard sur la littérature sénégalaise aujourd’hui ?
Heureusement qu’il y a encore ce regard, parce qu’il y a des écrivains, des poètes qui se bagarrent dans l’espace de la promotion de l’écriture, de la lecture, la promotion de beaux textes qui sont édités par des grandes maisons d’édition. Il y a une plume sénégalaise, africaine qui est là. Il y a une réelle promotion de l’écriture africaine, de l’écriture sénégalaise : les Mamadou Samb, Amadou Lamine Sall, Amadou Elimane Kane, Marouba Fall et bien d’autres se bagarrent et écrivent non seulement des romans, de la poésie mais aussi du théâtre, la tragédie, la dramaturgie, des essais philosophiques… Je crois que tous ces gens-là sont dans une dynamique d’écriture et surtout ils prennent le temps de respecter le lecteur, de porter donc en conséquence une écriture qui soit lisible, mais qui soit bellement lisible. Une écriture qui soit dans une dimension du compréhensible, qui soit en même temps aussi dans une dynamique de pouvoir porter des valeurs…
Est-ce que comme Boris Diop vous pensez vous mettre dans la promotion des langues nationales en écrivant par exemple en wolof ?
Cette relation aux langues nationales, moi je n’ai pas attendu maintenant pour le faire. J’écris en langue nationale. J’écris en wolof. Parfois même des musiciens, de jeunes rappeurs me demandent de leur écrire des textes en wolof, ce que je fais avec plaisir et jubilation d’ailleurs. Mais ces langues nationales aujourd’hui, c’est le nœud gordien de la littérature sénégalaise et même au-delà africaine. C’est que nous avons balisé le terrain avec le français, nous avons balisé le terrain avec l’anglais, nous avons balisé le terrain avec l’espagnol, le portugais etc…, selon les zones d’influence coloniale ancienne lusophone, francophone, anglophone et maintenant, comme disait Cheikh Anta Diop, «la conscience historique, les langues africaines et notre littérature ne peuvent être sauvées, ne peuvent être comprises, ne pourront perdurer» que si enfin comme l’a fait Boris et d’autres avec «Domi golo», ont créé une maison d’édition dont le travail consiste justement à vraiment aller dans le sens-là. Boris est quelqu’un qui a une dimension non seulement intellectuelle mais humaine et de partage. Il connait les enjeux, il sait qu’actuellement les enjeux sont là, dans cette pratique de nos langues… Quand Cheikh Anta parlait de langues nationales, il parlait surtout de la vulgarisation du savoir. C’est ce qui est plus important…
Avec ce vent de panafricanisme, de nationalisme qui souffre dans le milieu de la littérature est ce que la littérature francophone a encore un sens pour les auteurs africains que vous êtes?
La littérature francophone n’a de sens encore aujourd’hui que par rapport à l’espace francophone et il ne faut jamais oublier que la littérature francophone est faite plus de littératures étrangères à la France que de littératures qui sont en France. Maintenant la francophonie est faite plus en dehors de la France que de l’intérieur de la France. Ce qui fait que c’est l’Afrique et les autres parties du monde qui font cette littérature. Et chaque fois, je dis il n’y a pas besoin de nous amputer d’une richesse. Ce qu’il faut, c’est qu’on revienne à nos fondamentaux, qu’on travaille nos langues nationales et qu’on puisse leur donner une dimension encore plus importante que celle que nous avons donnée justement à ces langues anciennement d’obédience coloniale. Les choses vont se faire dès l’instant où on va installer notre système de savoir, notre système de réflexion, notre système de transmission, notre système d’écriture, de littérature sur nos propres réalités linguistiques, nos propres langues nationales. En ce moment, il va y avoir une distanciation qui va s’opérer par rapport à la langue française qui ne sera plus après qu’une langue de seconde zone. Mais je crois qu’il faut que le travail soit fait et que depuis la maternelle jusqu’à l’université, que tout le monde soit branché sur les langues nationales….
Vous êtes né en Afrique, au Sénégal vous avez évolué plus de 20 ans en Europe. Est-ce que vous vous considérez aujourd’hui comme un fils de la mondialisation ?
J’ai l’habitude de dire après 42 ans de vie en France que je n’aime pas ce mot : mondialisation. Mais comme c’est le mot qui existe et qui est là, il faut se dire que si on n’agit pas dans la mondialisation, la mondialisation doit agir contre nous. Ce qui est le plus important c’est de savoir ce que nous projetons de faire avec cette mondialisation ? Comment nous devons nous installer au cœur de cette mondialisation? Qu’est-ce que nous devons apporter à cette mondialisation pour continuer à exister, à être ce que nous sommes et ne pas être en reste ? Et je crois qu’en ce sens, il faut revenir à ces fondamentaux que je ne cesse d’évoquer et d’invoquer. C’est-à-dire au fait d’être nous-mêmes. Quand les Japonais vont à la mondialisation ils sont eux-mêmes. Les Chinois sont eux-mêmes, les Brésiliens, les Américains… La mondialisation nous a englobés, il faut donc que nous Africains, soyons ce que nous sommes, que nous puissions garder notre identité intrinsèque et que nous sachons faire preuve de lecture de notre récit. Que nous-mêmes nous écrivions les textes de notre propre récit. Et si nous arrivons à cette mondialisation, avec comme tous les autres peuples, notre propre texte, et bien, le partage ne pourra être qu’équitable. Mais si nous venons avec les valeurs des autres, si nous venons défendre les couleurs des autres, si nous venons sans ce qui nous fonde intrinsèquement, ce qui est dans nos racines et fait que nous tenons debout, nous ne pourrons jamais avoir un seul fruit de cet immense arbre qu’est la mondialisation.
Pour terminer cet entretien nous vous demandons de nous recommander trois lectures ?
Je vous recommande de lire : «Nations négres et culture» de Cheikh Anta Diop. C’est un livre fondamental. Il faut lire également un texte comme «Jonathan Livingston le goéland» (Ndlr, une œuvre de l’écrivain Richard Bach, ancien pilote de l’armée de l’air américaine). Lire aussi «Le Prophète» de Khalil Gibran. C’est un texte de la spiritualité. Puis lire enfin «Le Mahdi» écrit par Assane Sylla et l’Imam Mouhamadou Sakhir Gaye sur Seydina Limamou Lahi. Et le texte sur la philosophie morale des Wolof du professeur Assane Sylla. Ces textes me paraissent fondateurs dans le sens de la tolérance, de la spiritualité, ce dont l’humanité doit être porteuse. C’est Limamou Lahi Baye Lahi qui disait que «le monde est une pourriture d’une charogne et que seuls les chiens et les charognards s’en repaissent». Ce n’est pas pour rejeter la dimension heureuse de ce monde. C’est juste pour dire attention ce monde ne mérite pas qu’on y apporte la violence, qu’on y fasse du mal à l’autre pour s’accaparer des biens matériels et terrestres. Il y a quelque chose de plus fondamental, c’est la dimension du savoir dont parlait Mandela. Il disait : «l’arme la plus redoutable qu’on puisse donner à quelqu’un c’est l’éducation». L’éducation c’est le sens de la tolérance contre toutes ces dérives sectaires, contre l’extrémisme. L’éducation c’est le sens du partage, c’est aussi l’héritage et la transmission. C’est cela que nous devons laisser aux générations futures. Pour que cette planète puisse abonder dans le sens du bonheur.
Propos recueillis par Gilles Arsène TCHEDJI